Interview de Jean-Bernard Geoffroy, président du RAVAD, suite à l’affaire avec Cyril Hanouna

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Justice

22 mai 2017 : Jean-Bernard Geoffroy, président du RAVAD, a été interviewé suite à l’affaire avec Cyril Hanouna avec le Journal de Ouest France du 22 mai.

 

Que risque Cyril Hanouna pour ses dérapages ?

Cyril Hanouna

L’animateur phare de la chaîne C8 est encore en pleine tempête. Son émission Touche pas à mon poste est une nouvelle fois accusée d’homophobie à la suite d’une séquence diffusée jeudi 18 mai. Le CSA a été saisi et doit déterminer s’il engage des poursuites. Mais juridiquement que risque Cyril Hanouna ?
Encore une polémique pour l’émission Touche pas à mon poste sur la chaîne C8. Jeudi 18 mai, en direct, Cyril Hanouna se fait passer pour un certain Jean-José, bisexuel, qui aurait déposé une annonce sur un site de rencontres, accompagnée d’une photo d’un torse dénudé. Sur le plateau, lors de son émission, l’animateur répond aux appels en exagérant et en caricaturant un comportement efféminé. Il piège ainsi les interlocuteurs, les ridiculisant avec des échanges très crus et à caractère sexuel. Le reste des chroniqueurs ne réagit pas autrement qu’en riant.

Ce passage de l’émission a été très critiqué et jugé homophobe par de nombreux téléspectateurs. Plus de 20 000 signalements ont été reçus par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dimanche, 4 jours après l’émission (le formulaire pour faire un signalement est disponible en ligne sur le site du CSA, csa.fr). Un record.

Le gendarme de l’audiovisuel a indiqué que la scène en question serait étudiée rapidement d’un point de vue juridique. Cela peut prendre une à deux semaines avant la prise de décision concernant une éventuelle procédure contre la chaîne, pas contre l’animateur. De son côté, il s’est dit « blessé des accusations d’homophobie », assurant que « c’est à l’opposé de ce qu’est TPMP ».

Violation de la vie privée ?

Mais juridiquement, que risque Cyril Hanouna ? Mathieu Simonet, avocat et écrivain, indique dans une tribune publiée sur le site BibliObs ce lundi, que les articles 226-1 et 226-2-1 du Code pénal punissent de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 € d’amende le fait, « au moyen d’un procédé quelconque, de volontairement porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : 1) en captant, enregistrant ou transmettant sans le consentement de leur auteur, des paroles (présentant un caractère sexuel) prononcées à titre privé ou confidentiel […] »

L’avocat estime que « Cyril Hanouna, en postant une fausse annonce sur internet pour échanger par téléphone avec de jeunes hommes sur leur sexualité, dans le but de diffuser ces échanges devant plus d’un million de personnes, sans qu’ils soient informés que leurs paroles étaient enregistrées et entendues par un public très large s’est, selon [lui], rendu a minima coupable des faits sanctionnés par ces articles de loi ». Il n’y a que la personne concernée qui peut agir pour atteinte à la vie privée.

Mathieu Simonet précise dans sa tribune que « les peines prononcées peuvent par exemple être assorties du sursis. En revanche, ce qui est moins rassurant pour les fans de Touche Pas à Mon Poste, c’est que ces peines peuvent aussi être accompagnées de peines complémentaires, par exemple : « l’interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. » (article 226-31 du Code pénal) ».

Des poursuites sont-elles envisagées ?

Concernant le caractère homophobe de la séquence, le Refuge, l’association qui vient en aide aux jeunes homosexuels (et dont Cyril Hanouna se dit le plus fidèle défenseur), affirme « être particulièrement choquée » par ce canular téléphonique. Dans un communiqué, le Refuge déplore le ton de voix efféminé caricatural, « les propos crus de faible niveau intellectuel » et les « blagues douteuses ». Nicolas Noguier, le président du Refuge a demandé à l’avocat de l’association de « vérifier si des poursuites sont susceptibles d’être engagées sur le plan pénal ou civil ».

Matthieu Delormeau

De son côté, Ravad, le réseau d’assistance aux victimes d’agressions et de discriminations à raison de l’orientation sexuelle, demande « au CSA de ne pas seulement mettre en garde Cyril Hanouna suite à ses manquements aux obligations déontologiques, notamment concernant le respect de la dignité et de la personne humaine et de la lutte contre les discriminations, mais de prendre enfin de réelles sanctions ».

Joint par téléphone, Jean-Bernard Geoffroy, avocat, président du Ravad, estime que « l’émission qui a été diffusée jeudi 18 mai, au lendemain de la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie a encore une fois porté gravement atteinte à la dignité des personnes LGBTI et en particulier à celles qui ont été piégées. Nous demandons, si elles le souhaitent, aux victimes de prendre contact avec nos associations de défense des droits des personnes LGBT. » Le Ravad se laisse « le temps de l’analyse avant d’envisager un signalement auprès du parquet, voire une plainte ».

De très nombreux précédents

Ce n’est pas la première fois que l’animateur et la chaîne C8 sont en délicatesse avec le CSA. En 2016, l’émission était celle qui avait fait l’objet du plus grand nombre de plaintes avec 6 444 formulaires remplis. Pour que cette instance prenne des mesures contre une chaîne ou un programme en particulier, elle doit constater une continuité dans les manquements et que ceux-ci reposent sur les mêmes fondements juridiques. Pour le moment, les manquements observés l’étaient sur des sujets différents. Mais cette nouvelle séquence pourrait être considérée comme une récidive.

Le 23 novembre 2016, le CSA avait prononcé une mise en garde et une mise en demeure contre C8, en raison de deux séquences de l’émission. Le Conseil avait jugé qu’une remarque d’une extrême violence de Cyril Hanouna à un des chroniqueurs, Matthieu Delormeau « constituait un manque de retenue dans la diffusion de telles images susceptible d’humilier les personnes ». Le CSA s’inquiétait « du caractère répété de ce type de séquences et des effets d’imitation que cela peut induire auprès du jeune public ». Lors d’une émission suivante, le chroniqueur avait nié tout mauvais traitement.

La mise en demeure avait eu lieu après une scène de l’émission « Les 35 heures de Baba », diffusée le 14 octobre 2016. On y voyait un des chroniqueurs, Jean-Michel Maire, encouragé par Cyril Hanouna à embrasser la poitrine d’une invitée alors que celle-ci avait refusé à deux reprises. Le chroniqueur l’avait fait, en dépit des refus. La chaîne avait été mise en demeure, le CSA lui reprochant de « véhiculer des préjugés sexistes et en présentant une image dégradante de la femme ».

Un rapporteur indépendant saisi pour deux séquences

Concernant une séquence du 3 novembre où l’animateur avait mis en scène un faux crime et avait poussé le chroniqueur Matthieu Delormeau à en prendre la responsabilité, le CSA a également saisi un rapporteur indépendant car la chaîne « avait déjà fait l’objet d’une mise en demeure sur le terrain du respect de la personne humaine ».

Il s’agit de Régis Fraisse, conseiller d’État et président de la cour administrative d’appel de Lyon. Il est chargé d’instruire l’affaire et de proposer une sanction au CSA. Pour le moment, six mois après, aucune décision concernant ce dossier n’a encore été prononcée. « Le Conseil devrait recevoir bientôt ce rapport [du rapporteur indépendant, N.D.L.R.] », écrit Le Monde dans un article du 19 mai.

Régis Fraisse a aussi été saisi à propos d’une autre séquence au cours de laquelle Cyril Hanouna avait proposé à l’une de ses chroniqueuses, Capucine Anav, de fermer les yeux et de poser ses mains sur lui jusqu’à ce qu’elle pose ses mains sur son entrejambe.

Compte tenu de ces précédents, la séquence diffusée jeudi dernier pourrait être jugée comme une récidive. Dans ce cas, le dossier sera transmis au rapporteur indépendant. La chaîne pourrait donc subir une sanction, allant d’une amende (mais pas au-delà de 3 % du chiffre d’affaire de C8), au retrait de l’autorisation d’émettre, mais ce dernier cas est très rare. L’animateur pourrait aussi être sommé de lire un communiqué en direct.

Le CSA a-t-il déjà pris des sanctions ?

En 2016, la chaîne Numéro 23 s’est vue retirer son autorisation d’émettre pour non-respect de sa convention et de son pacte d’actionnaires. La chaîne a saisi le Conseil d’État et a retrouvé son autorisation d’émettre. En 2010, le CSA avait demandé que soit apposée une signalétique jeunesse pour l’émission Dilemme, proposée par la chaîne W9. Le programme, du genre potache, mettait en scène des défis jugés dégradants. Les horaires de l’émission avaient été changés à cause de la signalétique.